Fecha:
21/12/2016
Référence(s):
José Javier Ruiz Ibáñez (coord.), Las vecindades de las Monarquías Ibéricas, Madrid, Fondo de Cultura Económica, 2013, 422 p.
Alors que la tradition l’ouvrage de synthèse reste indétrônable en France, le format anglo-saxon du companion connaît un succès croissant dans l’historiographie espagnole. À ce titre, les quatorze contributions de Las vecindades de las monarquías ibéricas peuvent apparaître comme un vaste tableau des relations entretenues par les monarchies ibériques avec leurs voisins entre les xvie et xviie siècles. Le terme légèrement équivoque de vecindades, aussi bien en espagnol qu’en français (voisinages), désigne ici les effets produits par la proximité d’une puissance hégémonique de dimension mondiale sur les sociétés qui la jouxtent. L’hypothèse qui structure cet ouvrage considère que la domination du Roi Catholique ne peut être lue à l’aune d’une conception territoriale des empires. Car les sociétés adjacentes de la monarchie hispanique ne sont pas restées indifférentes à cette proximité, suscitant des dynamiques politiques centrifuges et centripètes selon l’attraction ou la répulsion que le projet impérial ibérique a suscitées en leur sein. En choisissant de faire un pas de côté pour observer la monarchie hispanique depuis ce qui la déborde, ce livre acquiert une dimension exploratoire et comparative qui l’éloigne de la simple synthèse. Coordonnées de main de maître par José Javier Ruiz Ibáñez, qui signe une introduction programmatique éclairante, les contributions de cet ouvrage se complètent de façon étonnante. Loin d’égarer le lecteur, la diversité des espaces traités (Empire, Rome, France, Îles britanniques, Amérique, Afrique du Nord, Perse, Philippines, Chine, Japon) souligne au contraire la pertinence du propos.
Relevée par la majorité des contributions, la recherche de la protection du roi d’Espagne apparaît comme un des fils conducteurs de l’ouvrage. Elle est souvent le fruit d’une politique active de captation des fidélités parmi les communautés catholiques étrangères, par le biais de pensions, de l’accueil des persécutés, ou par le secours militaire. En l’occurrence, la protection accordée par Philippe II et ses successeurs aux catholiques anglais, écossais et irlandais constitue un exemple remarquable (I. Pérez Tostado). Il en est de même de la politique d’alliance avec les princes catholiques de l’empire qui permet à l’Espagne d’entretenir ses propres clientèles, qui concurrencent celles des Habsbourg de Vienne et modifient ainsi les rapports de pouvoir au sein de l’espace germanique (F. Edelmayer). C’est aussi une stratégie mise à l’œuvre à la curie romaine sous Philippe II où, loin de l’image un peu simpliste du protectorat espagnol, c’est au contraire un jeu complexe de captation des fidélités individuelles qui se noue autour de l’ambassade espagnole (J. Lozano Navarro). Néanmoins, ces pratiques ne se réduisent pas aux seuls catholiques puisque, en Méditerranée occidentale, le roi d’Espagne est bien souvent sollicité comme arbitre dans des conflits dynastiques qui agitent les régences et les sultanats du Maghreb, un nombre considérable de princes dissidents ayant finalement trouvé refuge dans les territoires de la monarchie hispanique (M. A. de Bunes Ibarra). Car la protection du Roi Catholique est plus souvent réclamée qu’elle n’est imposée, un certain nombre de minorités trouvant par là un moyen de conserver ou d’acquérir une existence politique dans leur propre société. Si ces relais locaux s’avèrent constituer un levier essentiel de l’hégémonie hispanique, ils en révèlent aussi les fragilités car la monarchie est rarement en mesure de répondre de façon adéquate à leurs attentes. Dans ce processus, les sujets du roi d’Espagne peuvent aussi prendre une part active, notamment lorsqu’ils se trouvent aux confins de l’empire. Plusieurs contributions consacrées aux hommes de la frontière montrent comment ceux-ci peuvent incarner, détourner ou modeler à leur guise l’autorité du roi dans des espaces où celle-ci n’est peu ou pas formellement établie. C’est le cas des communautés marchandes espagnoles en Europe (H. Casado Alonso), des habitants de Sao Paulo aux marges méridionales du Brésil portugais (R. Raminelli), ou encore des Espagnols des Philippines dans leurs tentatives de pénétrer les réseaux marchands en mer de Chine (M. Ollé). À chaque fois, ces hommes mettent en jeu leur capacité à relayer l’autorité du roi dans les confins contre d’importantes concessions.
L’une des propositions les plus stimulantes de l’ouvrage porte sur la façon dont sont reliées entre elles des formes très diverses d’affirmations identitaires qui se produisent dans les périphéries de la monarchie hispanique aux xvie et xviie siècles. Ces manifestations ont en commun de professer une hispanophobie prononcée, qui est à la fois un discours d’unité contre les ingérences du puissant voisin espagnol, tout comme un discours d’exclusion qui accuse de sédition tous ceux qui se réclament de la protection espagnole. Ainsi, l’unification politique du Japon sous les Tokugawa et la répression du catholicisme qui s’ensuit (J. P. Oliveira e Costa et P. Lage Correia), aussi bien que l’affirmation d’un catholicisme royal en France et l’expulsion des Ligueurs (J. J. Ruiz Ibañez) peuvent être relues à l’aune d’un processus similaire d’affirmation politique et identitaire contre le projet impérial de la monarchie hispanique. Cette tension prend d’ailleurs des tournures plus subtiles quand l’ombre portée du roi d’Espagne est associée aux canons de la Contre-Réforme, à la culture baroque ou à une insaisissable forme de piété (S. Brunet). On peut en dire autant pour les territoires d’outre-mer, là où la domination espagnole se trouve étroitement associée aux caractéristiques plus générales des sociétés occidentales (J. C. Ruiz Guadalajara). Sans verser dans l’explication monocausale ni appauvrir la diversité des contextes, cette perspective offre un cadre interprétatif intéressant pour penser ensemble des phénomènes rarement étudiés conjointement. Il permet aussi d’élargir l’étude de la légende noire de l’Espagne au-delà de l’histoire intellectuelle (R. García Cárcel) pour l’inscrire dans une histoire globale des processus d’affirmation des identités locales en réaction à l’ingérence d’un pouvoir hispanique aux prétentions hégémoniques.
Cet ouvrage est une bonne illustration de la façon dont les historiographies espagnoles et portugaises ont abordé le tournant global qui affecte l’ensemble des sciences humaines et sociales. À la différence de la France, le champ est largement dominé par l’histoire politique des empires, qui a certes conservé sa matrice anglo-saxonne, mais a surtout été profondément renouvelée par les apports des historiens du droit portugais, espagnols et italiens. Ce courant historiographique, qui s’attache depuis vingt ans à restituer les logiques et les pratiques de gouvernement qui ont permis d’agréger des groupes et des territoires autour d’un projet impérial, s’était rarement aventuré en dehors des frontières impériales. Les auteurs réunis dans ce volume franchissent le pas en faisant voler en éclats le cadre territorial de l’empire pour montrer les ressorts d’un pouvoir hégémonique qui fait du reste du monde, selon l’expression d’Eliga Gould, une «périphérie espagnole». Cette progression rapproche de plus en plus (au point de les confondre) l’histoire impériale et l’histoire du monde, sans que le risque de la dérive ethnocentrique d’une telle entreprise n’ait été vraiment considéré. Car, bien que les observatoires se situent plus volontiers à Nagasaki, Paris, ou en Araucanie, il n’en demeure pas moins que c’est à l’aune de l’expansion ibérique que le reste du monde est envisagé. En ce sens, cet ouvrage témoigne d’une volonté de rappeler que toute histoire du monde à l’époque moderne ne peut ignorer la part prise par l’expérience impériale ibérique dans la production des identités locales à travers le globe.
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